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L'écervelé - Des livres pas comme les autres !
14 juin 2012

>dossier< #6 // Katinka, de Jean-Christophe Deveney & Loïc Godart, partie 2/3 : l'interview

On vous a déjà dit tout le bien qu'on a pensé du premier Bang !  Eh bien, le Bang ! nouveau est arrivé, il s'appelle Katinka, et il est encore mieux que le premier.

Même si l'on retrouve la maquette de Bang !, ainsi qu'un certain univers, ce Katinka peut se lire complètement indépendamment de Bang ! Précision faite.

Après la chronique, voici l'interview-croisée des auteurs, en attendant le port-folio.

 

>>Comment vous êtes-vous rencontrés ? Comment est née l'envie d'une collaboration, qui a donné Bang ! ? 

gal-1532299Loïc : Nous partagions un atelier, c’est là que nous nous sommes rencontrés avec J.-C., on a élaboré assez vite de premières choses, dans divers univers et formats. L’envie de faire Bang ! est surtout venue - si je me souviens bien, de l’envie de JC de faire une BD d’action. 

J.-C. : Yep, c’est ça. On profitait du même bout de mezzanine, dans l’atelier de sérigraphie de ladeveneyjeanchristophe-I158x205 librairie Expérience, et on a commencé à se tourner gentiment autour, l’air de rien, l’index appuyé avec nonchalance sur le rebord de la table de l’autre, les yeux en cœurs. Et pour Bang !, oui, c’est parti de moi. A la base, j’avais envie de raconter un gros gunfight entre filles. Une espèce de guns & boobs gratuit et siliconé. Et puis en commençant à creuser la thématique "fille avec des flingues", je me suis rendu compte que si on voulait faire tenir concrètement l’histoire, j’allais avoir besoin d’un peu de chair et de sang autour des prothèses. Et certains personnages de Bang ! sont sortis de cette réflexion. 

>>Vous écrivez ensemble ? 

Loïc : Oui, c’est une sorte de gloubi boulga ou les rôles ne sont pas très bien repartis, on échange pas mal, on s’envoie des scènes, etc… Il n’y a qu’en arrivant au stade du dessin des planches que J.-C. prend seul la main sur le scénar à proprement parler, en m’autorisant à faire des modifs sur le découpage qu’il me propose. 

J.-C. : Alors en fait, oui et non. Oui pour la conception de l’histoire, la création des persos ou l’intrigue, et non pour ce qui est de la rédaction même. Autant il est possible de dessiner à deux, autour d’une planche, autant je suis incapable d’écrire en même temps qu’une autre personne sur un même texte. Du coup, une fois la structure de l’histoire en place, on se partage le boulot avec Loïc, mais chacun dans sa grotte. Pour le premier Bang !, Loïc a ainsi découpé et dialogué un bon tiers de l’album. Sur le 2, Katinka, il s’est concentré sur les grandes lignes de l’histoire. Après, en général, je repasse derrière, je lisse, je ponce et je mets un peu de vernis au dialogue. C’est le côté menuisier du scénariste. 

>>On sent une attention particulière accordée aux dialogues. Pour camper les personnages, pour apporter une touche d'humour... 

Loïc : Ben oui, ben y faut bien, non ? La façon de s’exprimer va avec le personnage dans ce qui le caractérise, de même que sa bobine ou sa touche. 

J.-C. : Le dialogue permet en effet de poser très vite un personnage. En choisissant les bonnes répliques, on peut faire passer énormément d’infos en quelques cases. Et puis, j’aime bien avoir des dialogues bien rythmés. Ca me semble d’autant plus important en BD, où finalement la vitesse de lecture est grandement suggérée par ce moyen. On peut accélérer ou calmer les choses suivant la masse de dialogues. Il doit même y avoir moyen de faire passer la sensation de ralenti avec ça. 

>>Vous semblez vous marrer à imaginer des personnages insolites : le parrain russe, Bolide... 

Loïc : Pas du tout, c’est très studieux tout ça. 

J.-C. : Oui. Et pour le coup, c’est à Loïc que reviennent les personnages bien barrés de Bang ! t.2. Après, je crois que c’est un truc que je pourrai faire à longueur de temps : créer des personnages, juste pour le plaisir, sans forcément même leur chercher une histoire où vivre. Ça a un petit côté photomaton imaginaire. 

>>L'imagerie du tatouage est présente dans les deux volumes de Bang ! Un attrait particulier ou juste les besoins du récit ? 

Loïc : Pas d’attrait particulier, non, les personnages évoluant dans une sorte de cercle de mafieux russes, le tatouage juste est un accessoire caractéristique. 

J.-C. : C’est vrai qu’il y a le côté mafieux. Pour Katinka, avant de se lancer plus en avant dans l’écriture, on
couvavait passé en revue quelques sites internet sur les tatouages et l’énorme pavé d’un journaliste russe, Russian Criminal Tattoo. Il y a quelque chose que je trouve fascinant dans le tatouage, cette manière de marquer son corps, de s’en servir comme d’un espace d’exhibition et en même temps comme d’une manière de prouver sa fidélité au clan ou au groupe. Quand on devient mafieux, le tatouage est à la fois une façon d’être reconnu par les initiés et un marqueur indélébile. Une manière de dire que vous appartenez à l’organisation jusqu’à votre mort. Et puis je crois, aussi, tout simplement, que c’est surtout très graphique.
 

>>Autant le premier opus avait un côté spaghetti, autant on est là en plein polar noir... Amateurs du genre ? 

Loïc : Pas particulièrement. En écrivant Bang !, on ne se dit pas « tiens, écrivons un polar, ou ceci ou cela », c’est seulement une fois que le scénar est terminé qu’on voit ce que ça donne. 

J.-C. : Alors pour le coup, si, moi, je me dis cela en général. J’aime bien travailler à partir de la notion de "genre". Prendre un type d’histoire codifiée, en explorer les clichés et les archétypes avant de les faire exploser ou de les mixer avec un autre genre. Dans cette idée, quand je travaillais sur Bang ! t.1, j’étais clairement dans l’idée de faire un mélange entre un film de vengeance-série B et une comédie romantique. 

>>J.-C., tu remercies les Sonic Youth. Leur musique a joué un rôle dans ton travail ? Loic, tu valides ? 

cd-cover-washing-machine

J.-C. : Les sonic Youth renvoient surtout à mon adolescence, où je les écoutais à fond, entre potes, plantés qu’on était dans des t-shirts trop larges avec de la fumée plein la tête. Et puis, quand on a commencé à bosser sur Bang ! t.1, Loïc s’est amusé à monter une petite bande originale de l’album. Et Little troubled Girl figurait dedans, comme une illustration de la musique qui pourrait tourner dans la caboche de Katinka. Il y a un côté à la fois faussement enfantin dans ce morceau, avec une voix douceâtre en train de chanter une comptine qui se déglingue lentement. Et du coup, quand on a attaqué le tome 2, centré sur Katinka, le morceau s’est imposé comme une référence. 

>>Vous semblez laisser une grande place à vos références... 

IMG_1110J.-C. : Je ne sais pas. En tout cas, il y a des choses présentes, des vrais clins d’œil, comme ledeliverance_poster gros plan de la main de Gorka qui ressort de l’eau dans le tome 1 et qui est une référence à l’affiche de Delivrance. Après, je ne cours pas après en permanence. Et j’évite de vouloir les caser à tout prix, surtout si ça ne va pas dans le sens du récit. 

>>Ce second volume s'inscrit dans le même univers que le premier. On y retrouve Katinka. Mais le ton est résolument différent. L'intrigue est beaucoup plus synthétique et le propos plus grave. D'où vient ce virage ? 

Loïc : Bang ! est une série de one-shots, chaque bouquin est autonome, du coup ce n’est pas vraiment un virage à proprement parler. C’est une autre histoire, avec d’autres personnages, avec d’autres thèmes, et ça amène forcement une autre narration. 

J.-C. : C’est vrai que le premier album avait un côté plus gratuit, plus bourrin dans son propos. C’était une sorte de gros jeu de quilles qu’on dégommait à foison. En même temps, derrière cette apparence plus trash, le ton sombre et désespéré était déjà là. Même s’ils semblaient le prendre plus ou moins à la légère, les persos arrivaient tous en fin de vie et se retrouvaient confrontés à leur disparition. 

>>Vos personnages ne sont pas des plus joyeux. Dans le genre écorchés-vifs, vous ne les avez pas ratés. Vous ne croyez pas aux "gentils" ? 

IMG_0990Loïc : Mais Ivan et Katinka ne sont pas méchants ! Ce sont des victimes, des personnages sur laquelle la vie s’est acharnée, et qui malgré tout continuent de vivre et chercher un sens à leur existence. 

J.-C. : Je ne crois pas que ce soit une question de "gentil" ou de "méchant", en effet. Mais plutôt une question de "lisse" et de "rugueux". Ivan et Katinka ont encore leurs carrosseries d’origine, mais elles ont pris un sacré paquet de pets et de plis. 

>>Et vous n'êtes pas tendres avec eux. Vous ne leur épargnez pas grand-chose... 

Loïc : Qui aime bien, châtie bien… 

J.-C. : Et un tien, vaut mieux que deux tu l’auras… Et puis c’est un peu la magie de la fiction : plus vous tapez sur vos persos, plus ils vont générer de l’empathie. Alors oui, Ivan et Katinka génèrent beaucoup d’empathie. 

>>La course d'Ivan a tout d'une quête de vengeance. Mais c'est l'amour qui le motive. Un amour tordu et impossible. Il était déjà question d'une relation plutôt agitée dans le premier volume. Amour, oui, romantisme, moins... C'est une conception assez destructrice de l'amour. 

J.-C. : Yep. On est clairement dans la passion. Le genre de pulsion qui vous rend l’amour brûlant comme la lave, mais qui peut aussi le faire refroidir bien dur et bien tranchant, si elle n’est pas partagée. En même temps, je n’invente rien : les histoires de couple qui finissent à coup de fusil de chasse ne datent pas d’hier (ndlr : lire Natural Enemies, à ce sujet). 

Loïc : Ce sont surtout des rendez-vous manqués… Ça arrive, même aux meilleurs. Ce qui rend ici les choses plus prégnantes, c’est l’incapacité totale des personnages à tourner la page… 

>>Ca ne respire pas l'optimisme, tout ça... 

J.-C. : Pas sûr. Dans le premier, je trouve que ça ne finit pas trop mal : Varf et Madone se sont retrouvés et ont pu se dire ce qu’ils avaient à se dire. Bon, dans le second, en revanche… 

>>Petit détail, vous ne précisez pas pourquoi Ivan est emprisonné au début de l'album... 

Loïc : Une fois le bouquin refermé c’est assez simple de deviner pourquoi il ne veut pas retourner chez lui, et comme dit plus haut, il est incapable de tourner la page. Ensuite, l’idée de la cellule est aussi une forme de métaphore sur l’enfermement mental du personnage d’Ivan. 

J.-C. : C’est l’idée : celle d’un mec qui se punit lui-même. Il est dans la flagellation et il s’est condamné lui-même à la cellule. 

lejoueur-726x1024>>J.-C., tu es aussi scénariste de bandes dessinées jeunesse. Loic, tu dessines des adaptations de classiques littéraires. Bang !, c'est votre défouloir, votre cours de récré qui vous permet d'exprimer des choses plus personnelles ? 

Loïc : C’est un peu ça, même si dans mes autres travaux il y a aussi beaucoup de choses personnelles. A partir du moment où tu passes de un à trois ans de ta vie avec des personnages, tu les connais mieux que n’importe qui. Tu vis avec eux, tu les vois plus souvent que ta propre famille, que tes potes ou tes gosses, ça devient très vite très personnel… 

mangetrouille

J.-C. : Je ne sais pas si c’est tellement défouloir que cela. Enfin, dans le premier Bang !, j’ai pu mettre tous les gros mots que je voulais (moyenne de 1,27 par pages) mais en même temps, je ne suis pas frustré de ne pas les mettre dans les BD jeunesse sur lesquelles je travaille. C’est juste autre chose. Une manière différente d’aller touiller ce qu’on a au fond de la boîte crânienne, mais qui est présente aussi quand je fais Mangetrouille. 

>>Nous avons entendu parler d'une exposition Bang ! prévue pour les temps prochains... 

Loïc : Ah oui, mais non, c’est annulé tout ça. 

J.-C. : Quoi ? Putain, on ne me dit jamais rien, à moi… Je croyais qu’on devait accrocher des originaux aux murs de la librairie Expérience, pendant le festival-off de lyon, fin juin ? 

>>D'autres projets d'avenir pour Bang ! ? 

Loïc : Pour l’instant non, à moins que Bang ! ne devienne subitement un projet d’avenir… 

J.-C. : Pas pour l’heure, non. Mais bon, on ne sait pas, on n’est jamais à l’abri d’un succès. 

>>Des projets tout court ? 

Loïc : Une nouvelle adaptation chez "Noctambule" est en cours de réalisation, Au coeur des Ténèbres de JosephAu-coeur-des-tenebres Conrad (ndlr : le roman qui a inspiré Coppola pour Apocalypse Now), pour ma part, et différentes choses en écritures, mais ça reste assez flou pour le moment… 

J.-C. : Pas mal de choses à venir, qui sont en fait de nombreux projets entamés il y a plus ou moins longtemps et qui finissent tous par sortir à peu près en même temps. Dans la catégorie jeunesse-sans-gros-mots-mais-ça-ne-me-frustre-pas, il y a le tome 2 de Mangetrouille avec Seb Spagnolo et Lorien Aureyre, à venir fin juin au Lombard. Il y a également Le royaume d’Estompe, avec Tatiana Domas, prévu pour fin août chez Akileos et qui sera un one-shot onirique autour du deuil. Et puis, pour janvier prochain, le 1er tome de Johnny Jungle, avec Anne-claire et Jérôme Jouvray, devrait descendre de sa canope chez Glénat. 

>>Envie de rajouter quelque chose ? 

Loïc : Non. Sinon ça va, toi ?... 

J.-C. : Merci à toi pour l’interview, et les critiques de livres qui donnent envie. 

>>Merci, les gars !

 

Landry NOBLET

 

Propos recueillis par mail en mai 2012

Partie 3 : le port-folio

 

En bonus : le morceau de Sonic Youth évoqué par J.-C. Deveney, Little troubled girl :

 

 

Bang ! t.2 - Katinka, Jean-Christophe Deveney (scénario) & Loïc Godart (scénario, dessin & couleurs), 64 p., Akileos, 2012.

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