SOLDAT INCONNU t.1 // Joshua Dysart & Alberto Ponticelli

Depuis le début des années 90, le label Vertigo, la collection adulte de DC Comics, propose la fine fleur du comic-book hors super-héros. Transmetropolitan, Preacher, Les Invisibles, 100 Bullets... Autant de séries phares que d'auteurs talentueux : Warren Ellis, Garth Ennis, Grant Morrison, Brian Azzarello, Eduardo Risso... Longtemps détenus par Panini Comics, les droits de traduction ont été rachetés par Dargaud, fait marquant du petit monde de la bande dessinée en 2011. Et ce début 2012 voit arriver sur les tables des librairies les premiers volumes estampillés Urban Comics, nouvelle collection de comic-books in french. Après les inévitables rééditions (Watchmen), la compil inédite (DC Comics Anthologie) et la suite de séries installées (100 Bullets, Hellblazer), arrive enfin la première "vraie" nouveauté, un tome un d'une série Vertigo inédite : Le Soldat inconnu.

Le Dr Moses Lwanga, Ougandais exilé un temps en Amérique du Nord, revient sur ses terres natales, en 2002, alors que le brasier des conflits consume le nord du pays. Farouchement pacifiste et non-violent, le médecin rêve d'un avenir meilleur pour son pays. Rongé par des rêves récurrents de violence, il sera confronté à la dure réalité, enlevé et mutilé. Ce traumatisme provoquera comme un déclic dans son esprit, le décidant à agir, mais pas aussi pacifiquement qu'il l'aurait cru...

A l'image de son personnage, le scénariste Joshua Dysart a longtemps prôné le pacifisme, participant même à des regroupements non-violents. Enfin, jusqu'à son propre voyage en Ouganda, loin des grands lacs, au nord, à la frontière avec le Sud Soudan. Sa conception des choses et ses convictions y ont été quelque peu bouleversées. Son rapport à l'utilisation de la violence réelle a alors bien évolué... Entendons-nous bien, Le Soldat inconnu reste une œuvre de divertissement, mais le décorum de l'histoire étant issu d'une grave réalité, autant maîtriser son sujet. Ainsi, l'auteur ne se contente pas d'un background simpliste, et essaye d'éviter les clichés et raccourcis liés à ce conflit sous-médiatisé, pourtant d'une ampleur et d'une violence peu communes. Et il y parvient avec brio, offrant un comic-book de qualité tout en appréhendant un sujet d'actualité, la dimension politique étant dissimulée sous les vernis du divertissement.

Aux crayons, Alberto Ponticelli met son style sec et rugueux au service de cette réalité sale et tordue, à l'image du dessinateur de DMZ ou de celui de Scalped. Ses talents de découpage et de mise en scène éclatent lors des nombreuses scènes de violence et d'action. Il donne vie à ce vengeur tiraillé par les paradoxes, et donne à voir sa perception du contexte posé par son scénariste, soutenant le propos avec brio.

Une mise en place de grande qualité, pour cette bande dessinée au contenu passionnant à tous niveaux, qui parvient à appréhender une question trop méconnue, et qui ravive l'éternel débat sur la violence dans la fiction : doit-on montrer ce que l'on dénonce ?...

Landry NOBLET

Aller plus loin : avec le dossier sur la violence, articulé autour d'Extrême ! - Quand le cinéma dépasse les bornes, étude de Julien Bétan parue aux Moutons électriques. Partie 1/2 : la chronique, partie 2/2 : l'interview. 

 

Soldat inconnu t.1 - Possédé, Joshua Dysart (scénario), Alberto Ponticelli (dessin) & Oscar Celestini (couleurs), traduit de l'anglais (USA) par Jérôme Wicky, 144 p., Urban Comics, 2012.